Toutes les régions amazighes du Maroc ont connu une résistance armée acharnée contre la pénétration française ressentie comme une atteinte à la liberté, à l’indépendance et à la dignité de leur pays. Mais c’est certainement dans le Moyen Atlas, avec Moha Ouhammou Azayi et la bataille célèbre d’Elhri, que cette résistance armée généralisée contre le colonialisme français a trouvé exemple, inspiration et encouragement. Malheureusement, cette résistance amazighe qui a duré plus de 25 ans (1908-1936) n’est connue qu’à travers les échos de batailles célèbres comme celle de Elhri ( 1914), Anoual du Rif(1921), Tazizaout (1932), Saghro ( 1934) dans le Haut Atlas …
Cette glorieuse page de l’histoire des enfants du Maroc a tout simplement été occultée volontairement des programmes d’histoire officielle afin qu’elle ne fasse pas d’ombre à la « résistance » politicienne de l’oligarchie arabiste, encadrée et financée par les français eux-mêmes, et qui s’est accaparée le pouvoir et exclu l’amazighité et ses symboles depuis la mascarade de Aix les Bains.
La mémoire collective des populations concernées, a gardé intact, le souvenir de ces moments très durs où pas un seul jour ne s’est passé sans « baroud ». Les récits des batailles, de drames aux multiples dimensions sont ainsi conservés de manière étonnante, surtout par la poésie, la poésie de la résistance amazighe qui restitue, non seulement des impressions, des sentiments, des échos saisissants, mais aussi des image telles des « photographies instantanées », vivantes et parlantes, des faits dont la réalité est attestée.
Incontestablement, la mémoire collective de la région mais aussi de tout le Maroc retient que Moha Ouhammou est un patriote résistant qui n’a jamais composé avec l’ennemi malgré maintes tentatives des français de le rallier à eux. Il s’est juré que ces derniers ne verraient son visage ni vivant ni mort, et il a tenu parole par ses amis qui lui ont fait changer de tombe cette nuit du 27Mars 1921 à Azlag N Tzammurt où il est tombé au champ d’honneur.
Mais avant de parler du rôle principal joué par Moha Ouhammou en tant qu’exemple de chef de la résistance armée des tribus amazighes, voyons d’abord qui est Moha Ouhammou ?
I- Moha Ouhammou Azayi et la résistance armée au Moyen Atlas : quelques repères historiques :
a- qui est Moha Ouhammou Azayi ?
Moha Ouhammou Azayi appartient à la Confédération des tribus Izayane, pluriel de Azayi. Cette Confédération qui a pour capitale Khénifra au Moyen Atlas était subdivisée en huit Fédérations : Ait Harkat, Ait Krad, Ait Amar, Ait Sgougou, Ait Ihand, Ait Ishaq, Ichqqirn, Ibouhsoussen (1). Rappelons qu’aujourd’hui, et par la volonté des français et du makhzen, Ait Amar (ils ont été rattachés aux Zemmour), Ait Ishaq, Ait Ihand, Ichqqirn ne font plus partie de la Confédération des Izayane.
Moha Ouhammou appartient à la Fédération des ait Harkat, subdivisée elle-même en cinq tribus : ait Mai, Ait Haddou Ouhammou, Ihbbaren, Ait Bouhammad et Ait Said Ou Ichou. Il est issu de la tribu Ait Said Ou Ichou, qui est subdivisée en deux grandes fractions : Ait Lahcen Ousaid et Ait Chard. Ait Lahcen Ousaid se composent de cinq fractions :
1-Ait Alla
2-Ait Ben Ichi
3-Ait Khouya
4-Ait Bouhou
5-Ait Moussa
Ait Moussa se subdivisent en deux sous fraction (ighsan) : Ait Aqqa et Ait Ben Aqqa. De son vrai nom Mohammed Ouhammou ben Aqqa Ousaid, dit Moha Ouhammou Azayi Amhzoune, est issu des Ait Aqqa.
Il serait né vers 1863, montra très vite des qualités guerrières et politiques qui l’imposèrent comme jeune chef qui remplace son frère à la tête des tribus Izayane en 1883. En 1887, Il est nommé Caid par le Sultan Moulay Hassan 1er. Très vite sa réputation débordera l’espace d’Izayane pour atteindre le Sais, la Chaouiya et le Tadla. Lorsque les français pénètrent au Maroc, Moha Ouhammou est leur cible principale car il était le plus redouté pour des raisons évidentes : il était le chef incontesté d’une Confédération puissante et riche. En effet, à cette époque, le Moyen Atlas était la région la plus riche du Maroc étant donné ses atouts hydroliques et géographiques. A Khénifra, on trouvait tout ce qu’il y avait à Fès ou à Casablanca et l’on y fabriquait mêmes armes et munitions. Ces craintes des services de renseignement français se révélèrent fondées car Moha Ouhammou s’est opposé à l’avancée des troupes françaises dès 1908 à la bataille de Médiouna. Il a surtout constitué un obstacle majeur à la conquête du Moyen et du Haut Atlas par les troupes coloniales, objectif primordial des stratèges français qui voulaient ainsi relier le Maroc du Nord-Est à celui du Sud-Est.
b- La résistance armée de Moha Ouhammou: un combat national.
Moha Ouhammou était au fait de la politique nationale et internationale. Il connaissait les accords d’Algésiras de 1906 reconnaissant à l’Espagne et à la France des droits spécifiques sur le Maroc.
Il savait donc que la France allait occuper le pays. Il se préparait déjà à les recevoir et intervint effectivement pour la première fois dans la bataille de Médiouna en 1908, ce qui constitue la preuve que son combat était national et non régional comme certains avaient essayé en vain de faire créditer. Depuis, le long de toute leur campagne au Maroc, les troupes françaises n’auront de cesse de se retrouver face aux contingents de Moha Ouhammou Azayi.
En effet, malgré les tentatives qui visaient à le faire rallier aux français, Moha Ouhammou refusa tout compromis, choisit la lutte armée et ne cessera de mener des attaques meurtrières contre les troupes françaises.
Les interventions de Moha Ouhammou:
-1908 : à la bataille de Médiouna où des contingents envoyés par Moha Ouhammou Azayi qui a déclaré le jihad contre les français (2), épaulent leurs frères de la Chawiya ;
-1911 : Izayane de Moha Ouhammou interviennent aux côté de Mohammed N Hammoucha , Caid des Ait Ndir contre le mouvement des français vers Fès sous le commandement du Général Moinier ;
-1913 : intervention de Moha Ouhammou contre le Colonel Mangin (surnommé le boucher) à Oued Zem, et aux côté de Moha Ousaid Ouyerra contre le Commandant Aubert à Tadla.
-en 1914 : contre les troupes qui s’avançaient vers Khénifra.
Mais Moha Ouhammou a été pris en tenaille par la stratégie des français qui font avancer vers Khénifra des troupes venues de Tadla, de Boujaâd et de Taza. Après avoir écrasé toutes les tribus environnantes des Izayane, Khénifra est prise le 12 Juin 1914, ce qui oblige Moha Ouhammou à se mettre dans la montagne d’où il attaque sans cesse les français. Cette prise de Khénifra a été l’œuvre de trois colonnes parties simultanément de Sidi Lamine, de Aguelmous et de Mrirt. La prise de Khénifra est signalée par la poésie dans ces vers :
a- han Mohamed Ouhammou bu wfala enna tezrit
b- Iffegh Khnifra our yad iqqimi exs irumin
a- Vois-tu, Mohamed Ouhammou le guerrier que tu connais
b- A quitté Khénifra, ne s’y trouvent qu’ irumin (3) (les français)
Toutefois, Moha Ouhammou n’a abandonné Khénifra que pour mieux se défendre. Le Capitaine Guennoun reconnaît que « chaque jour fut marqué par un combat, et chaque nuit par une tentative contre notre tranchée. Nos convois durent être constitués en de véritables colonnes d’opération, sans réussir d’ailleurs à éviter, à l’aller comme au retour, l’accrochage toujours meurtrier du col du Bouhayyati, de Tazrout M Ouxbou (la Roche percée)et de Aqmu n Tguet(la bouche de Tguet). Le mois de Juin et de Juillet nous coûtèrent ainsi plusieurs centaines de tués et de blessés (4).
2-Une grande victoire de Moha Ouhammou : la bataille d’Elhri
La bataille d’Elhri (13 Novembre 1914) est, de l’aveu même des français, le plus grand désastre connu par leur armée dans toute sa campagne en Afrique du Nord : les tués sont : 33 officiers, 500 hommes de troupe ; au total presque 50/% de l’effectif engagé dans la bataille et qui était de l’ordre de 1187 hommes de troupe plus 43 officiers (5). Mais si l’on connaît le nombre de morts et de blessés côté français, les pertes côté amazighe ne sont pas encore connues. Les témoignages des français ou directement recueillis auprès des survivants parlent de dizaines de tués dans chaque tribu. Et quand on sait que des dizaines de tribus avaient participé à cette bataille, on peut se faire une idée sur le nombre de tués : des centaines, sans parler des blessés.
Cette bataille s’est déroulée en deux phases : la première où Moha Ouhammou et les siens ont été surpris dans leur sommeil, désorganisés, et tous leurs biens pillés ainsi que des femmes de Moha Ouhammou emmenées au camp de Khénifra; la deuxième phase commence avec l’arrivée des combattants de toutes parts et la défaite cinglante des français.
a- la première phase, est ainsi relatée par la poésie :
a-An ammer iwghrib en Mahjouba oula Tihihit
b-Ed idammen en Mimouna N Hmad innghall i tissi
a-Pleurons le calvaire de Mahjouba et de Tihihit
b-Pleurons le sang de Mimouna N Hmad versé dans le lit
Ces deux vers nous révèlent nous parlent des deux femmes de Moha Ouhammou qui furent capturées ce jour là par les français (Mhjouba et Tihihhit) et une tuée dans son lit (Mimouna Nhmad).
L’attaque a donc eu lieu au moment où tout le campement dormait, et la surprise est totale. L’attaque a été sauvage et n’a respecté aucune règle de la guerre. Les assaillants ont tiré dans le tas, si bien qu’enfants, femmes et vieillards ont été tués dans leur sommeil.
Une autre information nous est donnée par le patronyme « Tihihhit ». Ce terme nous renseigne sur l’origine Hahhayenne(de hahha) de cette femme, ce qui a été confirmé par les fils et petits fils de Moha Ouhammou. D’ailleurs, ce dernier avait pris femme dans les grandes tribus. Il avait même épousé une fassia (de Fès) qui lui avait été offerte par Moulay Slimane. Ces mariagesqui constituent des alliances politiques et stratégiques nous donnent une idée sur stature, l’influence et les ambitions politiques de Moha Ouhammou
Connaissant parfaitement sa puissance et son influence, les français avaient pour objectif de le capturer, après avoir essayé par tous les moyens de l’acheter sans résultat et surtout qu’il pratiquait une sorte de guérilla qui, chaque jour, leur coûtait cher. Malgré l’effet de surprise, Moha Ouhammou réussit à s’échapper et à donner l’alerte, si bien que quelques heures plus tard, de toutes les tribus izayane, de toutes les tribus limitrophes, les combattants ont afflué vers Elhri. Ils tombent sur les français qui déjà avaient amorcé la retraite dans le lit de la rivière dite Bouzeqqor, à mi chemin entre Elhri et la ville de Khénifra.
La bataille a été très dure et les armes étaient trop inégales. Mais le courage et la bravoure des combattants amazighs ont compensé la vétusté des armes. Ecoutons ce témoignage de Said N Hmad (5), traduit par l’auteur comme suit : « Ce qui nous a causé le plus de dégats, c’étaient les mitrailleuses lourdes installées sur les sommet des petites collines environnantes d’Elhri. Je me rappelle qu’il y’en avait une installée au milieu d’une touffe de jujubier et qui fauchait tout ce qui bougeait dans les alentours. Nous étions quelques dizaines de cavaliers à examiner la situation. Soudain, l’un de mes compagnons s’écria en pointant le doigt vers l’une des ces mitrailleuses: « wa imnayen n izayane, iwa s muhul iwen ikkan idis i azggwar inn » ! (Cavaliers d’izayane, honte sera sur celui qui évitera cette touffe de jujubier). Nous nous mîmes en ligne comme pour la fantasia, nous éperonnâmes nos chevaux très fort pour les enrager et nous nous dirigeâmes d’un seul bloc vers les feux de cette mitrailleuse. Les serviteurs de cette dernière nous aperçûmes et commencèrent à nous arroser. Beaucoup parmi nous tombèrent, mais nous atteignîmes malgré tout l’emplacement de cette maudite mitrailleuse. Lorsque nous les dépassâmes, je regardai derrière moi, il n’y avait plus ni touffe ni mitrailleuse ni irumin(les français), les chevaux avaient tout moulu. A partir de ce moment là, la bataille commença à tourner en notre faveur, surtout avec l’arrivée incessante des renforts. Vers la moitié de la journée, Bouzeqqur coulait déjà du sang d’ irumin ».
De ce massacre des français très vivant dans la mémoire collective de la région, un poète, nous a laissé ces images :
b-la deuxième phase relatée par la poésie :
a- Ekkerd a yuchen elLehri hayak tiâallamin iga yaktent uzayi
b- Gherd i win Bougargour ed tTghbula
c- Xu tetta abexxan, ecc exs azegwagh ighezdisan
a- Accours ô loup d’ Elhri, azayi t’a préparé des festins
b- Appelle ceux de Bougargour et de Tighboula
c- Ne dévorez pas les noirs, dévorez seulement les rouges
Pour qui connaît bien la langue et la culture amazighes, ces vers constituent une photographie pleine de renseignements. Tout d’abord, on y voit des morts joncher le sol, mais ce sont des ennemis dont la mort réjouit le poète (festins), qui demande aux loups de ne pas dévorer les noirs (sénégalais mais aussi algériens, tunisiens et marocains) mais les « rouges », allusion à ceux qu’on appelle ici « lalijou » les légionnaires. D’autre part, ces vers nous apprennent le nom de celui qui a préparé ce festin : Azayi, allusion à Moha Ouhammou Azayi.
Cette grande victoire des imazighen sur une armée suréquipée par rapport aux armes rudimentaires des izayanes, sonnera toujours comme une leçon d’histoire : la participation collective et massive des Fédérations de tribus amazighs au combat, unies autour d’un seul chef, Moha Ouhammou, constituent la preuve qu’on peut vaincre les français. Ainsi, quelques mois après la mort de Moha Ouhammou en Mars 1921, Abdelkrim Al Khattabi (avec lequel il était en contact) déclenche l’offensive de Juillet 1921 dans le Rif où il remportait la grande victoire d’Anoual sur les troupes espagnoles. Puis ce sera autour de Assou Oubaslam de poursuivre la résistance dans le Saghro au Haut Atlas jusqu’aux accords de Bougafr, des Ait Baha, Ait Abdallah près de Tafraout en 1934 pour se terminer avec Zaid Ouhmad et la bataille de Badou en 1936.
Imazighen totalisent ainsi plus de 25 ans de résistance armée contre l’occupant, avec son lot de souffrances : de morts, de blessés, de destructions massives de récoltes, de bétails, de villages entiers. Souffrances que les gouvernements successifs de l’Istiqlal accentueront au lieu de les panser.
3-La mort de Moha Ouhammou et la fracture des tribus :
La défaite catastrophique des français à Elhri a choqué le commandement politique et militaire français. La stratégie de la terre brûlée est alors adoptée et des renforts sont acheminés vers Khénifra de toute part. L’azaghar (la plaine) où les tribus avaient l’habitude de passer l’hiver est occupé par les français, et les populations sont donc obligées de passer l’hiver en montagne, sous les tentes. Or cet hiver là est des plus rudes, la neige est partout. C’est la disette. Malgré ces conditions extrêmement difficiles inhumaines, le gros des tribus continue à combattre.
Car tant que Moha Ohammou est encore vivant, Izayane et avec eux la plupart des autres tribus tiennent encore bon. Malheureusement, le 27 mars 1921, Moha Ouhammou tombe à Azlag N Tzemmurt, près de tawjgalt, à une quarantaine de Kms à l’Est de Khénifra, face au Général Pouymereau. Il est enterré à Tamllakt tout près de l’endroit où il a été tué. Izayane se divisent alors en deux camps: ceux qui abondonnent la lutte car trop inégale; et ceux qui, fidèles à Moha Ouhammou et à son combat, continuent la lutte armée.
Ces derniers vont rejoindre les insoumis de toutes les tribus des Atlas et continueront le combat jusqu’aux accords passés entre Assou Oubaslam et les français en 1934 pour les uns, jusqu’en 1936 pour les autres, après la cessation définitive des combats. Entre temps, ils ont connu toutes les batailles dont l’une des plus meurtrières est celle de tazizawt en 1932 et dont le poète dira :
a- Yakk a Tazizawt ur ejjin i telli mayd ikkan ennigam
b- Eddan imghar, ettuttin isun urd iqqim umazigh
a- Tu es témoin ô Tazizawt ! Aucune bataille ne t’égale
b- Les décideurs sont morts, les tribus décimées, il n y a plus d’amazighe.
Dans cette bataille, les français qui ont renforcé leur arsenal par l’aviation se vengent de leur désastre à Elhri et imazighen, déjà affaiblis par la mort de Moha Ouhammou et par un hiver des plus rudes, ont été littéralement affamés et massacrés.
Les conséquences de la résistance armée amazighe :
La résistance armée des imazighen a eu des conséquences morales, économiques et sociales, politiques et culturelles beaucoup plus graves qu’on ne le pense. Parmi ces conséquences, le sentiment de culpabilité est peut être le plus grave. Ce sentiment est du à l’humiliation de la défaite certes, mais, pour le poète, la défaite trouve sa raison d’être dans les divisions des imazighen. Ce que résume un poète des ait Sidi Hamza dans ces ver (6) :
a- Mur tccarm a yimazighen eqqah yatt titi
b- Urd ittawd ayenna egg as takkam tiwtmin
a- Si vous Imazighen étiez unis dans le combat
b- Vous ne seriez pas à même de lui (le français) donner vos femmes.
Ces vers font allusion à cette manie des français à « considérer la capture des femmes et des enfants de l’ennemi « berbère »comme la consécration indiscutable de toute victoire vraie »(7).
Ces sentiments liés à la défaite des imazighen devant l’ennemi a touché au plus profond un égo qui a longtemps été éguisé au flanc de la liberté. L’heure est donc au deuil d’une époque douloureuse sans précédent. Ce que résument ces vers :
a- Ullah a memmi mer da ed essalayn imettawn ca
b- Ar illa yiwn ellehri xef wul inw issahmal enn issaffen
a- Par Dieu mon fils si les larmes pouvaient quelque chose
b- L’immense réservoir qui se trouve sur mon cœur mettrait les rivières en crue
La cruauté des français est telle que les repères habituels des imazighen sont totalement bouleversés. Mais c’est aussi une violence qui a remis tragiquement à l’ordre du jour des valeurs comme la dignité, la liberté, l’honneur. Car face à la lâcheté, à la cupidité ou la trahison des uns, se trouvent honorées, célébrées, la grandeur, la dignité des autres.
Des valeurs que le Maroc indépendant va à son tour mettre à rude épreuve : malgré tous les sacrifices consentis pour la patrie et la liberté, la région des Atlas fera encore une fois les frais de la politique du Maroc utile et du Maroc inutile. Ce qui sera ressenti comme une double injustice, surtout après la brève euphorie où le retour de Mohamed V de l’exil et l’indépendance ont plongé la région dans une fête extraordinaire, fête qui connaîtra son apothéose avec la venue de Mohamed V à Ajdir en 1956.
5-L’amertume de l’après indépendance :
La résistance armée est finie. Puis l’indépendance arrive après d’autres résistances, l’armée de Libération créée par imazighen et où ils joueront encore les premiers rôles. L’exclusion de la langue et de la culture amazighes des institutions de l’Etat se double d’une marginalisation économique et sociale des régions encore exclusivement amazighes afin de les pousser à émigrer vers les villes et ainsi à s’arabiser pour que le projet de société des nationalo-arabo-salafistes puisse réussir. L’exclusion des résistants de l’histoire du Maroc prend alors tout son sens. Moha Ouhammou, Abdelkrim Al kHattabi, Assou Oubaslam et tant d’autres martyrs et héros, symboles de la résistance armée contre l’occupant sont occultés du discours dominant au profit de personnages souvent traîtres notoires à la nation. L’amertume est d’autant plus amère qu’imazighen sont conscients des sacrifices qu’ils ont consentis pour l’indépendance, pour cette terre dont ils sont les premiers dépositaires historiques. Ce sentiment est résumé par le grand poète des Ait Yussi Lahcen Ahinach(8) dans ces vers :
a- Ullah ar da neggan all ktix max issarr a lâbad I n fafa
b-ella eggarx izdwan egg ixf inw ujdx ad iffegh digenx lhmaq
c-Is annayx lhaqq a yimazighen is enga ti ughrib urt en li
d- Ullah amrid i yait latlas ar isul Digol ghurun
e Mani aqbil izayan emmutnenn eg Tizi Isli eggun âari
f- Ixla Saghro exlan Imermucn assenna ghas itizza irumin
g- Liman asd ekkerx ad utx is da nannay agllid infayax
h- Maca estiqlal enna numz ca ur ax issaha essâad iberrcinax
a- Par dieu ô mon fils je dors et quand je pense à notre sort je me réveille
b- C’est cette injustice faite aux imazighen comme si c’étaient des étrangers
c- Par dieu, si ce n’étaient pas les atlassiens, Degaulle serait encore chez vous
d- Où est la tribu Izayane décimée à Tizi Isli dans la montagne
e- Ceux de Saghro et Imermucen ont été détruits à cause des français
f- C’est la foie qui m’a amené au combat c’est le roi qui a été exilé
g- Mais de l’indépendance nous n’avons rien eu, la chance nous a quittés
Le poète nous rappelle ici que l’indépendance n’a pas su panser les blessures, au contraire, elle a ravivé les rancoeurs qui ont fini par retrouver le chemin de la violence. Ce lien entre l’hommage et la révolte est aussi tissé par Bouâazza N Moussa (9), grand poète et ancien résistant, qui résume les événements de toute une époque (celle de la résistance armée, mais aussi celle du nationalisme et de l’indépendance dans une synthèse admirable :
1-Ad ak âwdx all ur âqqilx a yenn isserrff lmoghrib ellig ettwarru
2-Ellig da teggat a rsas anzar exf unna ur ilin mas eknid ittrara
3-Id is ghiyen wuzzifen i y ait etteyyara ula ghiyen i lhdid isghusan
4-Ghas tekkerm a y ait lâahd ar ettinim Ben Yussef aneghd ad ur nelli
5-A y ay tezzenzam aksum i lâafit ula tgamasen lmurad iyrumin
6-A y ait elhebs a y ay teswam tisent a y ay tadduzem akkwn yazi umaârad
7-A y ay ghifun isserf urumiy a willi ettunfanin es ayenna eg ur tezrim
8-A y ay das etcam i lmut ixf afella lislam akken ibbi wuzzal es achal
9-Hatin sulx da kun terhamx a willi emmutnin awyen laghrubit es achal
10-Hatin sulx da kun tfkkarxx ayenna ekkix darawn igen digi em kerd ul
11-Max is da tuyattun willigh da send ijjan lmziyt i winna eg ur telli
12-Max is da tuyattun willi ijahden ad ax rin ajbir enna eg iqqen udar
13-Iwa lmut edda nemmet unna isbbebn i tin lâzz ag lazmn ad iss nissin
14-issahl eddehb ad as yili exf lqbr ad ig limart i winna ed ittlalan
15-Mer gha itteqqen ca tin ca an beddel wid axd ikka lâib es widda yzillin
16-Mur da tegga lixra tamchawrt att awy unna ixayn aggan lmusif
17-Macan da tegga luqt ami tghadder datt ittlqqay ca taktabasn i ca
18-Etga lhurria am tekdift ighems unna ur as iwcin atig i wmzdaw
19-chuf ay da tegga luqt idda ufus enna ett illmen da etn issergigi usemmid
20-Etga lhurria am unna igemmer ikkad yukk adghar enna egg ittmerrat
21-Unna iryhen agg umzen tamlal u ma bu thiyyaht ayenn iga ixesras.
Traduction de l’auteur:
1- Je vous raconterai sans me lasser, l’état du vaincu
2- Quand tu étais pluie, ô plomb, sur ceux qui n’avaient pas de quoi riposter
3- Les humbles pouvaient-ils affronter les avions et l’artillerie dévastateurs?
4- Vous vous êtes simplement dit ô patriotes: Ben Youssef ou nous ne serons plus
5- Que de chaire vous avez donnée au feu pour ne pas plier devant l’ennemi
6- Que de prison que de sel avalé que de courage à être dépecé par la torture
7- Que de souffrances endurées, exilés de contrées lointaines et inconnues
8- Que de sacrifices pour la dignité au prix même de vos vies
9- Sachez que j’honore toujours vos mémoires ô combattants de la liberté
10- Sachez que je me souviendrai avec tristesse tant que je vivrai
11- Oublie-t-on ceux qui ont légué l’honneur à ceux qui ne l’ont point?
12- Oublie-t on ceux qui ont cassé l’étau qui enchaînait nos pieds?
13- Nous sommes tous mortels, mais ces martyrs là méritent reconnaissance
14- Leur tombe devrait être auréolées d’or en mémorial pour la postérité
15- Si la mort était juste, les braves seraient encore là et les traîtres au tombeau
16- Mais le destin est traître et les rôles sont inversés
17- La liberté est un tapis qui couvre ceux qui n’en ont pas payé le prix
18- Regarde ce que fait la vie: les mains qui l’ont tissé tremblent de froid!
19- La liberté est une battue où la gazelle revient à ceux qui sont assis
20- Les rabatteurs qui ont tant peiné sont repartis sans rien.
Ces vers résument le sentiment général qui prévaut dans les régions des Atlas après l’indépendance, mais sans conteste, dans toutes les régions amazighes encore aujourd’hui.
Ces sentiments de frustration n’ont pas encore été réellement apaisés. La portée réelle des décisions prise en 2001 reste très loin de ce qui était attendu afin qu’imazighen puissent tourner la page et se réconcilier avec l’Etat marocain mis en place après l’indépendance.
Le combat armé de Moha Ouhammou Azayi comme celui de tant d’autres, ce sont imazighens qui signifient au monde leur existence en tant qu’être humains conscients de leur spécificité. C’est la même volonté d’être, de demeurer libres de leur destinée qu’ils transmettent au monde depuis bien des millénaires, malgré les vicissitudes de l’histoire, aux prix d’une résistance qui a connu et connaît encore des formes diverses, et dont la lutte armée n’est que la face la plus visible.
Ali khadaoui
Chercheur
Tribu des Ait Mai, Izayane
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Notes :
(1)- Lieutenat Pilant- archives berbères-1919-Notes contributives à l’étude de la Confédération Zayan.
(2)-S. Gennoun, la montagne berbère, 1933 , P.222.
(3)-Pluriel d’arumi, de romain : vocable qui résume à lui seul le souvenir douloureux de l’occupation romaine. Chez imazighen, il désigne quelqu’un sans pitié, sans aucune humanité.
(4)Jean Le Prévot, cité par Mohamed Ben Lahcen in La bataille d’Elhri, Info Print, p.104.
(5) Interrogé par l’auteur en 1980. Décédé en 1984 à l’âge approximatif de 96 ans.
(6)-vers attribués à Mbark n Tazerruf par A. Roux in « Poésie berbère de l’époque héroique, Maroc Central,(1908-1936), édisud « bilingues », janvier 2002.
(7)Guennoun, S, La voix des monts, Mœurs de guerres berbères, éd. Oumnia, Rabat, 1934.
(8) Lahcen Ahinach -1980 - document oral-cassette-, collection personnelle.
(9) Bouazza N Moussa-1978 - document oral-cassette- collection personnelle.
Bibliographie selective:
Abes, M, Les izayanes d’Oulmès, Archives Berbères, 1915.
Aspignon, R, Etude sur les coutumes des tribus zayanes, éd. Moynier,1946, Casa.
Basset, A, La littérature Berbère, La Pléiade, 1955.
Ben Daoud, O, Notes sur le pays zayan, archives berbères, 1917.
Berger, F, Moha Ouhammou le zayani, éd. Atlas, 1929.
Bernie, G, Moha Ohammou, guerrier berbère, éd. Gautey, Casa, 1945.
Chafik, M, Trente trois siècle de l’histoire des imazighen, Boukili éd. 2000(3e éd.).
Chafik, M, La poésie amazighe et la résistance armée dans le Moyen Atlas et l’Est
du Haut Atlas, revue de l’Académie du Royaume,no4,1987.
Camps, G, Berbères aux marges de l’histoire, éd. Espérides, 1980.
Guennoun, S, La montagne berbère, ou les Ait Oumalou, éd. Oumnia, Rabat, 1933.
Guillaume, A, (Général), Les berbères marocains et la pacification de l’Atlas
Central( 1912-1933), Julliard, 194
source: www.tiznitpresse.jeeran.com
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